Les coureurs sont partis d’Evry à 15h et nous sommes exactement 50 km plus loin en direction de la capitale. Descendant tranquillement des hauteurs de Vauhallan, je chemine avec une dame qui habite une maison isolée à côté de l’abbaye. Elle a remarqué un hélicoptère au-dessus de chez elle il y a deux jours, preuve, me dit-elle, que les images des paysages diffusées chaque jour sont bien enregistrées avant à cause du temps de montage. Une famille se repose sur un carré de toile à l’ombre, sous le hayon du van, en rivalité amicale pour attraper les lots de la Caravane avec celle d’à côté. _ Ce coup-ci, vous avez eu quoi ?_ Et vous, vous avez réussi à choper des trucs ? Partout le long de la route, des scènes de bonheur simple, aux passages de la bande annonce publicitaire du Tour, évoquent l’insouciance des premiers congés payés.
Sac à terre, au centre du vieux village, avec Hotel pastis de Peter Mayle à l’intérieur, je m’assieds face à L’Atlas, restaurant marocain réputé de la place et apprécié de ma femme, d’où les maisons en front de rue montent vers l’église. Un annonceur de Radio trottoir dit qu’ils arriveraient dans deux heures. Depuis douze ans que le Tour passe ici, à Vauhallan, le public qui veut passer à la télé a appris à se placer comme un acteur. Un ado prévient sa mère qu’il ne va pas rester dans l’ombre car les caméras vont sûrement braquer le trottoir d’en face. Un homme jeune, torse-nu, quitte sa fenêtre. Il loge à côté d’un bar tabac presse tenu par un fier Breton, où je pense avoir un meilleur point de vue. Un scooter est garé devant contre un palmier en caisse, sous un grand parasol beige. Une femme gendarme barre un accès à un croisement. Tout le monde attend.
Assis à une table au bar, un habitant qui vit ici depuis trente ans partage un verre (bière Super Bock) avec sa mère (diabolo-menthe). _ La menthe, c’est interdit par ma religion, dit le fils. A la table d’à côté, originaire de St-Etienne, une étudiante en cinéma à Paris (studios Luc Besson à St-Denis) qui a un copain à Vauhallan (elle n’a plus de batterie pour l’appeler). Speakerine pour Radio trottoir, une jeune maman est venue avec ses deux petites filles qui ne s’éloignent pas de la poussette. Portant une casquette Skoda blanche, par la fenêtre ouverte on l’entend dire au téléphone : _ Ils sont à Polytechnique. Les deux tables engagent la conversation autour de la transformation du plateau de Saclay. L’étudiante que cette discussion fait patienter imagine un campus à l’américaine. 1, 2, 3, mot magique, défais-toi. Le local de l’étape, les rigoles qui ruissellent du plateau le tourmentent. _ L’eau, elle va aller où ? Il veut bien des nouvelles constructions pavillonnaires mais se demande bien par où l’eau s’évacuera, vu qu’Orsay n’en veut plus et que le bassin de rétention de Gommonvilliers n’y suffira pas. _ L’alcool ne résout pas tous les problèmes, mais l’eau nous en pose beaucoup.
Une pile du journal L’Eaufficiel (Eau de Vittel), édition du dimanche 27 juillet 2014 Evry >Paris Champs-Elysées repose sur le zinc du comptoir où officie le patron.
_ Qu’est-ce que c’est ça ? _ On m’a dit que pour deux consignes ramenées, on avait une bière.
Un couple d’Anglais débarqué d’une voiture Skoda demande du thé (_ Pas de thé, pas de décaféiné) et quel est le nom du village. J’épèle Vee, ei, you, etche…et ainsi de suite jusqu’à la dernière lettre, le enne de Vauhallan. L’habit ne fait pas le moine (comment le dire en anglais ?). Ils m’expliquent que leur système de climatisation a été primé à Leeds en Angleterre et qu’ils ont gagné deux jours au cœur du Tour. _ You are very lucky !
17 h 15, du trottoir, sous nos fenêtres, monte encore : _ Ils sont à l’abbaye de Limon puis : _ Ils sont au cimetière de Saclay, avant que le patron du bistrot sorte annoncer lui-même : _ Ils arrivent dans cinq minutes, ils sont vers Nestlé.
Arrivée au bar de deux jeunes gens sportifs, l’un torse-nu (mais bien porté) qui se fait admonesté (gentiment) par le patron. Le jeune homme enfile son T-shirt. Ils veulent des glaces. Le patron cherche dans le meuble du bar : _ Là, j’ai été dépouillé, les Skoda sont passés avant, je n’avais jamais vu ça. A la place, ils demandent deux Perrier et une bouteille d’eau (une grande si possible) à emporter. Le bistrotier : _ Dieu merci, j’avais prévu plein de cannettes. Il tend une grande Vittel.
Les coureurs arrivent groupés, le Tour est passé.
Dans le rétroviseur de la voiture-balai, une main verte fait une drôle de navette. Avec le cadeau offert par le PMU quand la caravane est passée il y a deux heures maintenant, un petit garçon fait au-revoir avec une main grande comme une raquette.
Le bar se vide mais des clients s’attardent. La patronne, cherche ce qu’elle doit taper sur sa caisse enregistreuse : _Normalement, le dimanche, je dors.
Le Tour a eu de la chance, la pluie s’est mise à tomber juste après son passage.