MAY I INTRODUCE PIERRE ?
Ecrivain levé à l’aube, Pierre entre très jeune dans les salles de rédaction. Il fait ses armes comme journaliste sportif avec son oncle qui possède la revue Tennis & Golf, avant de partir suivre les balles aux Etats-Unis pour Le Figaro. Journaliste, mais seulement le matin, il travaille l’après-midi à son œuvre romanesque. Il y brosse des souvenirs personnels, depuis la seconde guerre mondiale (Le sang des hommes -1941), jusqu’à une croisière de luxe (Les Touristocrates – 1974). Mon ami Pierrot montre l’écrivain au travail. Que lui faut-il ? Il ne demande qu’un bureau, une bonne plume et, le plus difficile à obtenir, le silence. On peut ajouter une bonne épouse. Il disait à sa femme, « Si tu me quittais, je me noierais …dans le travail et les voyages. » Travailler, voyager, aimer et faire de l’humour. A l’école, il avait appris à rire de tout, ensuite, il s’est souvenu de ce qu’il avait appris. Lui disait-on : _ « En somme, on peut dire que vous occupez une place à part dans la littérature française ». Il répondait _ « Bien sûr je ne vais pas m’asseoir sur les genoux de quelqu’un. »
Dans le livre qu’elle consacre à son mari (Editions du Panthéon – Collection Mémoires), Marie-Pierre fait une grande place aux textes de Pierre dont elle loue le professionnalisme. Il connaissait à ce point son métier qu’il dicta un jour deux chroniques plongé dans le coma et, selon Marie-Pierre, qui était également sa documentaliste et plus encore sa partenaire, il n’y avait rien à retoucher.
MAY I INTRODUCE MARIE-PIERRE ?
Andreï Makine lui faisait l’amitié de toujours lui adresser son dernier livre. Il arrivait à la dédicataire dans son appartement du Parc de Diane à Jouy-en-Josas, où des photos de Pierre rappelaient sa présence à ses côtés. Marie-Pierre vous invitait pour une tasse de thé aussi bien en français qu’en anglais (I will arrange tea time for the two of you this summer with pleasure). Vous la trouviez chaussée de mocassins en fine fleur de cuir, prête malgré les ans à aller visiter une exposition en voiture à Paris ou à s’envoler pour New-York. J’ai connu Marie-Pierre octogénaire. Eternelle amoureuse des mots étudiant les langues. Avec les Aînés de la commune en Pologne. Participant en toute simplicité à l’Atelier d’écriture. Cet amour qu’elle a toujours porté aux mots, cet amour qui lui a fait rencontrer Pierre. Peu de personnes connaissent sa vie et pourtant elle l’a racontée avec talent dans Belle-Mère en exclusivité, paru chez de Fallois en 1996. Pierre écrit en quatrième de couverture : « Il est parfois difficile pour un écrivain d’accepter qu’il y en ait d’autres _ surtout des meilleurs. Mais avoir une épouse qui prend la plume, s’empare de votre nom, publie un livre, et, de surcroît, ne manque pas d’esprit _ c’est dur à avaler ». C’est troublant, ce titre : Belle-Mère …alors qu’elle évoque sa propre mère. Pierre a choqué sa vie. « Je n’aurais jamais dû faire la connaissance de Pierre », écrit-elle encore et encore.
Un livre provoque l’improbable rencontre
La rencontre des deux familles, d’origines sociales si différentes, n’était pas inscrite dans les cartes. Il a fallu que le destin fasse un gros, un très gros effort d’imagination. Leur histoire d’amour commence par le livre que Pierre a écrit et que Marie-Pierre achète. Nous sommes à New-York, en 1954, l’année des Carnets. Pendant que sa mère essaie de joindre les deux bouts, Marie-Pierre Dourneau garde des enfants et a la bonne idée de passer à La Librairie française. Le livre Les Carnets du Major Thompson va changer sa vie. Voilà l’homme (cet auteur qui a eu le génie de lancer un Major anglais plus vrai que nature dans la jungle des Français) avec qui elle aimerait vivre ! Aimerait, car Pierre est marié. Ralenti, le coup de foudre dure treize ans.
Marie-Pierre Daninos a la plume assassine, son mari, qui fut une sommité de la littérature est mort à l’hôpital comme un chien. En 2005. Onze ans plus tard, Marie-Pierre invective son personnel tout autant pour son manque d’humanité que pour ses soins défaillants. Le carnet de notes de Pierre et son stylo disparaissent en même temps que lui. Marie-Pierre a concentré sa dernière énergie sur terre pour raconter la vie du célèbre journaliste, celle de l’écrivain voyageur et leur vie de couple durant cinquante ans. Elle est décédée sitôt après avoir déposé le manuscrit entre les mains de son éditeur.
_ Buvons un coup, buvons en deux
A la mémoire des amoureux…
Christophe Baillat