Un soir*à HEC,
Deux étudiantes tiennent
Autour d’une table
Une sorte de conseil de cuisine.
Pour faire les plus belles hallot de l’année
Elles ont aligné tous les ingrédients sur la table :
Farine, eau, levure, huile, sucre et œufs
Chacun d’eux placé entre la recette et l’horloge.
Jamais on n’avait vu deux filles se mettre dans un état pareil
Attendraient-elles leur fiancé pour une permission
Elles consulteraient moins souvent le calendrier.
Le calendrier hébraïque des marées
Un petit livre qu’elles feraient mieux de laisser ouvert
Plutôt que de le manipuler sans arrêt comme elles le font
A une cadence de plus en plus rapide
Au fur et à mesure que l’heure se rapproche.
Seul, sous la table et dans le noir,
Le chandelier s’impatiente, lui aussi.
Avec tout leur cœur
Les étudiantes se préparent à accueillir le Chabbat**
Leurs yeux vont du petit livre vert à l’horloge
Et de l’horloge au petit livre vert.
Le tableau des entrées et des sorties
Indique pour chaque Chabbat
L’heure de la marée divine montante
Et l’heure de son reflux.
Aussi fixent-elles le cadran de l’horloge
Elles ne voudraient sous aucun prétexte rater Celui qui va bientôt entrer
Nul n’ouvrirait au facteur _ même s’il portait un recommandé _
Même s’il était le messager de Dieu
Elles le feraient décamper.
Ce jour est le « saint Chabbat » mondial
Qui n’arrive qu’une fois l’an.
_ Les bougies ! crient-elles, allumons les bougies !
Le moment tant attendu est enfin arrivé.
Chacune plonge sous la table tête la première
pour s’emparer du chandelier.
&
Alors que l’école est sur un plateau
A soixante-dix mètres
Peut-être cent mètres
Au-dessus de la vallée
On raconte qu’autrefois
HEC fut inondée.
En ce 12 novembre
En contrebas du plateau
Perdue dans le brouillard
La Bièvre se réveille
Ragaillardie par les pluies.
Aux abords de l’INRA
Sur la berge
Un cavalier tiré à quatre épingles
Attend l’ouverture du centre équestre de Vilvert.
Il voit l’herbe disparaître
Sous l’épais manteau des feuilles mortes.
&
Il fait six degrés
L’air transporte merveilleusement
Un mélange d’olives, d’épices et d’oignons frits.
&
_ Quelle est l’odeur qui domine ?
Se demandent en même temps
Le cavalier et l’étudiante qui photographie les hallot
tout juste sorties du four.
&
Un moment de pur silence.
Un reflet porté par la flamme des bougies
Sur la croûte badigeonnée avec un jaune d’œuf.
La cuisinière en chef, sans réfléchir:
_ Une odeur de Gan Eden.
&
L’odeur du Paradis descendue dans la vallée
Cette commune, c’est une bénédiction.
Christophe Baillat
* Soir du 11 au 12 novembre 2016
** Le Chabbat ou Shabbat est le jour de repos assigné au septième jour de la semaine juive, le samedi, qui commence dès la tombée de la nuit du vendredi.
1 Comment
Très beau texte Christophe! Bravo à toi