Info Citoyen, Plateau de Saclay

Plateau de Saclay : Histoire d’Alexandre Alexeïevitch, dit Alex

Jan 17, 2014

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Christophe Baillat, auteur à Jouy-en-Josas, sous le plateau de Saclay, sort son périscope.Il nous fait partager sa première histoire, celle d’Alex, physicien russe.

Il remercie chaleureusement Science Accueil, MonSaclay.fr et le Club des entrepreneurs de Jouy-en-Josas pour l’aide apportée dans la recherche de ces contacts. 

 

_ Je rigole quand j’entends dire que les chercheurs n’ont pas besoin d’être dirigés, c’est peut-être vrai dans leur travail, tant mieux pour eux, mais dès qu’ils sortent du labo, ils sont à côté de la plaque, si vous me permettez. Certains sont carrément euphoriques, le problème, c’est de les ramener sur terre jusqu’à nous. La bureaucratie, c’est à l’opposé de ce qui leur convient. Ils sont incapables de défendre leurs droits. Nous, nous connaissons les dessous du système, nous leur offrons une sécurité. Dans le cas d’Alex, c’est vrai, Tatiana nous a beaucoup aidés. Sandrine de Science Accueil

Alexandre Alexeïevitch, (Alex2 pour ses collègues, ou encore Alex) travaille à une échelle temps de quelques fractions de seconde, inférieure à la nano seconde. Il est le type même du physicien-voyageur qui enjambe les continents pour faire carrière ou partir avant la date d’expiration de sa carte de séjour. En consultant son CV sur Research Gate, on voit qu’il est déjà venu à Paris avec un visa d’un an _ Un contrat CNRS, mais après je n’ai pas pu rester. C’était il y a cinq ans. Compte-tenu de la mauvaise réputation des fonctionnaires français « trop tatillons», il avait eu recours à Science Accueil comme intermédiaire. Sandrine se souvient.

Le 15 décembre 2008, Alex salue son directeur de labo, le Pr Klein, au centre-ville de Moscou, débarque quatre heures plus tard à l’aéroport de Roissy, d’où il appelle l’association Science Accueil à Orsay pour qu’elle lui trouve un point de chute. Il doit prendre un poste de chercheur à l’UPMC, l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, une faculté d’ingénierie dans le Ve arrondissement. Il commence après Noël. Il a pris soin de faire précéder sa venue d’un mail expédié à Science Accueil. Il arrive avec un simple bagage par l’escalator dans le grand hall de l’aéroport et compte sur Sandrine pour lui trouver un hébergement le soir même. Aimablement mais fermement, elle lui fait remarquer qu’il ne leur laisse pas le temps de se retourner. _ Pas le temps, vous plaisantez, ce n’est pas ma faute si vous êtes surchargée … Pour Sandrine, c’est un cas désespéré mais, hélas, pas isolé. Elle a réussi à le loger dans une ferme-auberge (cela dit, il n’en garde pas de mauvais souvenir). Depuis bien des choses ont changé. Il a soutenu sa thèse, s’est offert un orgue électrique en récompense de son prestigieux titre de Docteur (Ph. D. in Physics), a séjourné à Osaka et au centre-ville de Toronto où il a rencontré Tatiana Alassieva, une compatriote. Depuis, ils ne se quittent plus. L’organisation des déplacements s’est, comment dire, professionnalisée et tout le monde en profite à chaque bout de la chaîne.

Il y a peut-être un million de scientifiques dans le monde (ce n’est plus la noblesse du XIXe siècle) mais la compétition dans les labos est loin d’être la même partout. Alex ne veut plus entendre parler du système américain. Du Canada comme des Etats-Unis, il dit : _Là-bas, le Professeur qui dirige un labo est comme un chef d’entreprise. Il donne le même sujet à deux équipes, les presse comme des citrons et il garde les meilleurs à la fin. Venant d’un pays de l’Est, il n’a pas l’habitude de se vendre. Aussi le régime français lui convient mieux. Il peut désormais candidater pour des postes post-Doc et soumettre son dossier à une commission composée de sept personnes. On ne l’attend pas non plus à bras ouverts. Sur un tableau, il a lu un jour : tu fais la compétition à nous. Message non signé d’un collègue qui parlait moins bien français que lui.

Entre deux équations prometteuses, Alex joue au piano dans le petit coin chaleureux ménagé derrière une porte du labo de Toronto, orné de souvenirs et de blagues de matheux…

La vibration est rock & roll. Avec trois mois d’avance sur le déménagement projeté, Tatiana reçoit sur son Smartphone une liste de quinze propositions d’hébergement. Le soir en se concertant, leur choix est le même, ils préfèrent habiter au centre de Paris, vivre et travailler à Paris pour Alex avec, occasionnellement des allers et retours au Synchroton Soleil à Saclay. (La lumière y est si puissante qu’elle compense le peu de temps laissé à l’observateur pour réaliser son travail). Tatiana envoie cet email: _ Chère Sandrine, merci pour vos propositions en réponse à notre demande. Nous avons maintenant le projet d’avoir un enfant (elle en assume la responsabilité, Alex n’entend rien à ces choses-là, elle pourrait lui raconter n’importe quoi). Du coup, pourriez-vous nous proposer des logements plus grands ?

Première déconvenue, la Cité universitaire internationale est saturée de demandes, aussi Tatiana reçoit-elle un nouveau message l’informant que les seules possibilités seront soit à Evry (préfecture de l’Essonne), soit à Palaiseau. Avec leur budget, Sandrine n’a pas pu trouver plus près de Paris. Deuxième déconvenue, les vaccins de leur animal domestique ne sont pas à jour. Tatiana tient à son lapin au moins autant qu’à Alex, elle doit faire des pieds et des mains pour tenter d’obtenir une dérogation. Finalement, le couple peut venir en France s’il promet de régulariser la situation du rongeur. Le choix entre Evry et Palaiseau, a été vite fait. La préfecture est un mot repoussoir pour Alex, il préférerait jouer au piano dans une camisole de force. De lointains échos lui parviennent, via Tatiana qui prépare le terrain pour lui en vue du retour à Paris. La veille encore, elle tentait de se loguer sur le système informatique de gestion des rendez-vous. Mais à minuit et une minute, elle était recouchée, les rares créneaux ouverts étaient déjà pris d’assaut.

_ Il faut sans arrêt se reconnecter, c’est épuisant.

_ C’est amateur, ce n’est pas normal. Dans d’autres pays on y arrive alors pourquoi pas au pays de Louis XIV? Ailleurs ça marche un peu comme ça (sa main serpente), ou comme ça (il tend sa main comme pour donner un billet), mais à la fin, on y arrive. La France croit aux papiers. C’est tout carré. Tatiana lui dit qu’il n‘y a plus que le vaccin qui pose problème. Pour Alex, qui a le poste mais pas encore tous ses papiers, c’est comme un cauchemar. La France, c’est un pays magnifique mais la préfecture, c’est le pire.

Une nuit, alors qu’ils sont sur le sol français, Tatiana décroche enfin le rendez-vous.

_Chéri !

Alex n’a plus qu’à prendre le sac à dos qui contient les documents demandés pour la carte de séjour, justificatifs de résidence, justificatifs d’activité professionnelle Il enfile une polaire et des chaussures de randonnée.

_Pourquoi tous ces papiers ? Mais pourquoi, je suis ici légalement, je travaille.

_Dépêche-toi tu vas rater le rendez-vous.

_ Il vaut mieux avoir trop de documents que pas assez, j’en prends encore quelques-uns.

_ Allez, go !

Tatiana a lu sur un forum qu’une femme qui avait accouché en urgence et subi une césarienne en plein été, à la date prévue initialement pour son rendez-vous en préfecture, n’avait pas pu en obtenir un autre car elle n’avait pas honoré le premier.

A son retour, Alex a le sourire (heureusement qu’il peut prendre des libertés sur son emploi du temps de scientifique). Maintenant, tout s’emboîte, activité, domicile et papiers en règle. Occasionnellement, il sera près de son lieu d’activité, (Palaiseau et Saclay sont tous deux situés sur le même plateau dit de Saclay même s’il le déborde). Le plus souvent, il en sera éloigné de 15 kilomètres pour rejoindre l’UPMC. Pour monsieur, l’horizon s’est dégagé.

Aujourd’hui, le lapin restera seul à la maison. Tatiana l’a fait sortir de son mobil-home, un sac de transport, réparé avec du ruban adhésif partout où il l’a attaqué avec ses dents, pour le faire entrer dans une grande cage d’un mètre de long. Le vaccin va l’affaiblir deux jours. Tatiana, conjoint de scientifique, en profite pour se rendre à Science Accueil. Elle cherche une sociabilité, un peu de chaleur humaine pour rompre l’isolement quotidien qui se profile à l’horizon. Il faut choisir entre la visite du château de Versailles, des cours de cuisine en français et du golf. Elle opte pour la cuisine française. Elle fait le calcul que les échanges y seront plus intenses entre les participants. Et le plat qui se consomme à la fin du cours est inclus dans l’inscription.

Dans quelques années, ils devraient obtenir leurs cartes de séjour valables dix ans, ils feront alors construire une maison, le long de la Bièvre au pied d’un bel ensemble scientifique de renommée mondiale.

Contact : [email protected]

http://cbaillat.skyrock.com/

Auteur de plusieurs livres parus depuis 2004 chez l’Harmattan et Yvelinédition. Prestataire et conseil en écriture.

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