Il était une fois, en d’autres lieux et en d’autres temps, un système solaire où orbitaient la planète Cradok et la planète Vigi. Ces planètes jumelles abritaient la Vie, dont l’évolution, simultanée et parallèle, fut couronnée, on s’en doute, par deux espèces quasi identiques d’êtres pensants, mais aux sociétés grégaires différentes.
Les Vigis étaient néo-conservateurs parce qu’ils étaient revenus à une vénération ancestrale de leur environnement, qu’ils appelaient « mère Nature ». Ils permettaient les libertés de pensée, de parole, et de mœurs, tout en veillant à contrôler les pulsions de domination et de prédation, de peur de bouleverser l’équilibre naturel. Pour eux le temps n’était pas de l’argent à négocier, mais de l’or à thésauriser. La devise Vigi était « Prenons le temps de réfléchir pour bien faire, nous nous épargnerons la peine de corriger nos erreurs ». Ils appelaient cela principe de précaution. Ils s’essayaient à la mutation coopérative dont l’organisation en démocratie participative freinait considérablement leur efficacité économique. Mais ils prétendaient accéder ainsi à une qualité de vie inappréciable.
Les Cradoks étaient néo-libéraux parce qu’ils assujettissaient les anciennes libertés à la nouvelle : la liberté économique, celle de pouvoir produire, commercer, et spéculer sans aucune contrainte. Leur devise était d’ailleurs « Consommer pour profiter, profiter pour croître, croître pour produire, produire pour consommer», et leur dogme était de l’appliquer en libre concurrence non faussée. C’étaient des lutteurs de la sélection vitale, organisés en démocratie féodale, et adorateurs d’une main invisible (qui pourtant leur bottait périodiquement le cul).
Sur la planète Vigi, on vivait essentiellement dans des petits bourgs et villages de maisons de bois ou de paille à l’épreuve des grands méchants vents. Ces localités communautaires étaient distribuées sur le territoire et fédérées en réseau, en vertu du principe que le décideur ne doit jamais être bien loin des conséquences de ses décisions, et que le Représentant doit rester sous le contrôle de ses Représentés et de leurs procédures de destitution. Ce système Vigi s’avérait délicat à gérer et particulièrement chronophage.
Les Cradoks, eux, vivaient essentiellement dans des termitières géantes de briques et de ciment, disséminées sur leur planète. Partant du principe que le décideur, une fois nommé, doit avoir les mains libres et qu’une équipe compétente d’oligarques et de technocrates sera toujours plus efficace et plus maniable que des braillards ignorants, la hiérarchie Cradok était organisée en pyramide stratifiée. Le nombre réduit de strates du mille-feuille était censé en minimiser les coûts et en maximiser la réactivité. Mais il donnait aussi aux Représentants l’avantage d’une apparente proximité propice à l’idolâtrie de la myriade des Représentés, tout en maintenant quand même ceux-ci à distance par l’étroitesse des accès permis.
Comment ces deux nations disjointes vivaient elles leur disparité ? Nous vous le conterons dans un prochain numéro …
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[…] vivaient nos Cradoks et nos Vigis, physiologiquement si semblables et sociologiquement si différents […]
[…] quand les Cradoques pourrissent la planète. Me comprendront celles ou ceux qui auront lu le conte publié sur ce blog en début de semaine. Au nom de la compétitivité concurrentielle voulue par les C+, […]