[article initialement paru dans le numéro 138 (octobre 2011) du mensuel Liaison publié par Ile de France Environnement]
De nombreuses inconnues subsistent pour des aménagements dont Maurice Leroy, ministre en charge du Grand Paris, a déclaré : « ce projet nous dépasse tous. »
Un décret du 24 août 2011 a entériné le « schéma d’ensemble » du futur réseau de transport « Grand Paris Express », objet de l’accord entre l’Etat et la Région du 26 janvier, accord qui avait été adopté par la Société du Grand Paris le 26 mai.[1] Ce réseau combine des éléments des projets de l’Etat (« Grand 8 ») et de la Région (Arc Express). Il comprend trois lignes de métro automatique de 175 km et 72 gares, dont 57 nouvelles. La ligne bleue (Orly – St. Denis) prolonge la ligne 14. La ligne rouge est une rocade en proche couronne Le Bourget – Clichy-Montfermeil – Villejuif – La Défense – Roissy. La ligne verte, Orly – Saclay – Versailles avec un hypothétique futur prolongement vers Nanterre, a changé de nature : le métro lourd souterrain est remplacé par un « métro léger » aérien de type VAL avec trois arrêts sur le plateau de Saclay au lieu d’un seul. Certains tronçons devraient s’ouvrir en 2018, d’autres en 2025, dont Orly-Versailles [2], le reste étant renvoyé aux calendes grecques.
Des sommes faramineuses
Pour financer l’énorme investissement de 20,5 milliards d’euros, l’Etat devrait engager 4 milliards et les collectivités 1,5 milliard. Financement complété par des taxes sur les bureaux et un emprunt à long terme de 9 milliards. Mais ces sommes ne représentent que le sommet de l’iceberg. D’abord, l’amélioration des infrastructures existantes, dont les débats publics ont confirmé l’impérieuse nécessité, coûtera 12 milliards. Ensuite, les estimations ne couvrent ni le raccordement au réseau existant, ni la desserte autour des gares. Enfin, il y aura des dépassements. Selon Bent Flyvbjerg [3], un grand projet d’infrastructures de transport a 86 % de chances de voir ses coûts sous-estimés et le taux moyen de sous-estimation d’un grand projet ferroviaire est de 45 %. La Cour des comptes, elle, constate un écart moyen de 92 % entre le coût prévisionnel et le coût final d’un projet inscrit au contrat de plan Etat-Région 2000-2006.
Il faudra rajouter les frais de fonctionnement. Le rapport Carrez relatif au projet du Grand 8 a évalué les frais de fonctionnement des réseaux franciliens à 43 milliards pour la période 2010-2025 : 19 pour le nouveau réseau et 24 pour faire face à la dérive continue de déficit du réseau actuel. Or, la billetterie ne couvre que 30 à 40 % du budget actuel du STIF (8 milliards), le reste étant à la charge des entreprises et des collectivités.
Un pari à haut risque pour les finances publiques
Certes, on ne doit pas lésiner sur les investissements d’avenir. Dixit le Président de la République en juin 2007 (avant la crise), au sujet du financement des infrastructures : « ce n’est pas une honte de s’endetter pour cela, car cette dette-là ne finance pas le présent mais l’avenir. Elle représente un passif, mais aussi un actif. Le tout est que la valeur de cet actif justifie celle du passif. » Mais justement… rien ne permet d’affirmer qu’au-delà des formules incantatoires, le projet du Grand Paris améliorera réellement les perspectives d’avenir de l’Ile-de-France et encore moins celles de la France. D’autant plus que la crise économique est loin d’être derrière nous !
Dans son article « Les comptes fantastiques du Grand Paris », l’urbaniste Frédéric Léonhardt évoque un « Grand Canyon financier » et affirme que « tous les ingrédients d’un crash industriel public sont réunis. » Pour sa part, l’urbaniste Jean-Pierre Orfeuil avait déjà, dans sa contribution au débat public « Grand Huit, un grand pari non durable », rappelé à la Société du Grand Paris ce qui figure sur les offres de prêt : « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager. » Dans un récent article « Dix ans de ‘droit à la mobilité’, et maintenant ? », ce spécialiste des mobilités urbaines arrive par ailleurs à la conclusion que notre approche de la mobilité a fait la preuve de son inadéquation et doit être repensée.
Harm Smit
Coordinateur
Collectif OIN Saclay (COLOS)
[1] On se souviendra que dans leur accord du 26 janvier, l’Etat et la Région avaient acté leur désaccord sur la desserte du plateau de Saclay. Que s’est-il passé depuis le 26 janvier ? Nous avons appris de source fiable que la Région a lâché du lest sur le plateau en échange de l’engagement de l’Etat sur sa part de financement du Plan de Mobilisation Régional.
[2] Entre-temps, le 10 octobre, le Président de la République a déclaré : « Afin de créer les conditions favorables à l’arrivée d’institutions prestigieuses sur le plateau [de Saclay], je demande aux ministres concernés d’examiner les moyens permettant d’assurer une desserte par métro automatique le plus rapidement possible et en tout cas avant 2018. » Cela semble relever du rêve… Rappelons, une fois de plus, que cette ligne de métro ne résoudra qu’une petite partie des problèmes de transport induits par les projets d’aménagement du plateau.
[3] Chercheur danois, professeur à l’université d’Oxford.
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