Par Thomas Lamarche et Olivier Réchauchère dans lemonde.fr
(Thomas Lamarche est économiste à l’université de Paris VII
Olivier Réchauchère est militant associatif du territoire de Saclay, ancien membre d’une commission du débat public.)
Le projet d’installer sur le plateau de Saclay une Silicon Valley à la française (selon les mots du secrétaire d’Etat Christian Blanc) est doublement emblématique des travers des pouvoirs publics français en matière d’aménagement. D’une part parce que l’Etat se montre incapable de prendre en compte les spécificités d’un secteur du savoir qui peine à émerger (crise de l’Université, faible niveau des dépenses de recherche…) dans sa conception de ce cluster scientifique. D’autre part parce qu’il semble se refuser à penser avec les acteurs locaux la complémentarité des diverses dimensions de ce territoire ; son volontarisme se heurtant à une opposition citoyenne vigilante et capable de proposer une vision alternative.
UN CLUSTER VU D’EN HAUT
« Cluster » semble le maître mot de l’action de l’Etat dans ce projet. Cette notion s’est imposée dans les années 1990 à partir de l’étude de la dynamique des territoires à forte activité technologique. Elle désigne des projets fortement spatialisés où l’action jointe des acteurs publics (collectivités territoriales notamment), de laboratoires de recherche et d’entreprises favorise un développement endogène reposant sur des ressources locales (ressources naturelles, compétences professionnelles, culture commune…). Cluster (littéralement « grappe ») désigne ainsi l’agglomération d’activités, les exemples classiques étant la Silicon Valley ou l’aéronautique à Toulouse. La coopération d’acteurs variés, publics et privés, entreprises, collectivités et associations est reconnue comme un ingrédient original des agglomérations réussies.
Malheureusement, le pôle scientifique de Saclay ne relève pas de cette conception. A l’inverse d’une démarche coopérative, le mode de fonctionnement qui s’y dessine privilégie la mise en concurrence des laboratoires de recherche, des universités et des écoles : concurrence pour l’accès aux ressources publiques, dans l’accès aux partenariats, dans un nouveau marché du travail des chercheurs. Le pôle lui-même étant en concurrence avec d’autres territoires (ceux du plan Campus). Le secteur du savoir est ainsi pensé à partir d’une vision entrepreneuriale de l’enseignement supérieur et de la recherche et non plus à partir d’une profession qui se régule, chercheurs et enseignants définissant les savoirs légitimes, recrutant et gérant les carrières.
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